Cours de physique quantique des champs
1. Potentiel de Yukawa
1.1. Champs massiques
1.2. Champs non-massiques
2. Equation d'Euler-Lagrange des champs
2.1. Lagrangien de Klein-Gordon
2.2. Lagrangien du champ électromagnétique
2.3. Lagrangien de Dirac
3.1. Invariance jauge globale
3.2. Invariance jauge locale
Avant la formulation de la physique quantique, les particules et les champs étaient considérés comme des entités distinctes mais liées; les particules possèdent certaines caractéristiques intrinsèques (comme la masse et la charge électrique) et produisent les champs (gravitationnels et électromagnétiques). Chaque champ de force émane des particules et remplit l'espace autour d'elles. Les champs emmagasinent et peuvent transporter de l'énergie; ils sont, en ce sens, des milieux continus réels qui lient les particules et communiquent les interactions entre elles. On considérait que les particules étaient composées de matière et les champs étaient composés d'énergie. La notion de champ de force était l'alternative du 19ème siècle à l'ancienne action à distance assez mystérieuse. Des particules qui ne réagissent à aucun champ de force ne sont pas observables et physiquement n'ont aucun sens. De même, des champs de force qui n'agissent pas sur aucune particule sont également sans signification. Les notions de particules et de champs n'ont donc un sens que lorsqu'elles sont reliées.
La notion de champ a commencé à être modifiée fondamentalement avec l'introduction par Albert Einstein du concept de photon. Selon cette nouvelle conception, le champ électromagnétique n'a pas son énergie distribuée d'une façon continue dans l'espace. Le photon est le "quantum du champ électromagnétique". Il transporte l'énergie et la quantité de mouvement du champ. L'interaction électromagnétique de deux particules chargées et le transfert de l'énergie et de la quantité de mouvement d'une particule à l'autre doivent avoir donc lieu par l'échange des quanta d'énergie électromagnétique, les photons. La théorie de telles interactions (entre particules chargées), appelée "électrodynamique quantique" (Q.E.D.), a été la première application réussite de ces idées (elle permet de démontrer la structure fine du modèle de Sommerfeld, expliquer le spin de l'électron..) et c'est à elle que nous allons nous intéresser ici.
Avant de nous lancer dans des calculs complexes (voir plus loin), montrons que l'approche proposée précédemment peut-être considérée à l'aide d'un formalisme fort simple comme exploitable. Considérons à ce titre la figure ci-dessous (représentation de la collision élastique de deux électrons) :
(45.1)
Cette figure est appelée
un "diagramme
de Feynmann" (nous n'allons pas plus dans les détails
mathématiques
pour l'instant). Supposons que les deux électrons se déplacent
initialement
à la même vitesse. Ils s'approchent d'abord puis s'éloignent l'un
de l'autre le long d'une droite dans l'espace qui est projetée
sur l'axe des temps, dans le sens des temps croissants. L'électron à
gauche émet un photon (la ligne ondulée), et pendant un certain
temps ,
il y a deux électrons et un photon. L'électron à droite absorbe
ensuite le photon et l'interaction est momentanément terminée;
d'autres photons feront par la suite l'aller et retour entre
les électrons.
La force moyenne est proportionnelle au taux de transfert de la
quantité de mouvement due à l'échange des photons. La probabilité
de l'émission ou de l'absorption de photons par une particule est
reliée à sa charge. La force doit donc être proportionnelle au
produit des charges en interaction (en accord avec la loi de
Coulomb). Pensez
à la force de répulsion entre deux astronautes flottant dans l'espace
et échangeant une balle dans un sens puis dans l'autre. Cependant,
le phénomène inverse d'attraction ne peut être visualisé de cette
manière mais uniquement sous forme mathématique formelle.
La collision présentée dans
la figure ci-dessus est élastique; l'énergie de chacun des électrons
est inchangée
dans la collision. Malgré cela, pendant un temps ,
le système contient une quantité d'énergie supplémentaire hv correspondant
au photon. Pendant ce temps
,
la conservation de l'énergie est apparemment violée! Peut-on
tolérer
cette situation? La réponse, donnée par la physique moderne, est
oui; mais elle ne peut jamais être observée. Autrement dit, il
y a toujours une certaine incertitude
sur
la valeur mesurée de l'énergie d'un système. Le principe d'incertitude
de Heisenberg impliquant (voir démonstration dans le
chapitre de Physique Quantique Ondulatoire) que :
(45.2)
Une violation de la loi de conservation
de l'énergie jusqu'à une quantité sera
cachée par l'incertitude sur l'énergie à condition
que le temps disponible pour faire l'observation
soit
suffisamment grand tel que
(45.3)
évidemment une valeur inférieure à satisfait
également la condition. Nous pouvons donc écrire:
(45.4)
L'incertitude sur l'énergie dépasse l'énergie d'un photon d'énergie hv si le photon existe pendant un temps plus court que:
(45.5)
Ce photon est alors observable sur une distance maximale de :
(45.6)
et comme la fréquence peut être arbitrairement petite, la portée de la force transmise par le photon sans masse est illimitée. Il peut paraître dans cette relation que la portée est limitée pour un photon libre. Mais ce serait oublier (cf. chapitre de Physique Quantique Ondulatoire) qu'un photon libre n'existe pas car il aurait une fréquence totalement indéterminée. Donc la distance d'interaction le serait aussi.
Ces quanta d'échanges, qui sont inobservables, sont appelés des "photons virtuels". Comme les photons ne sont pas chargés nous disons aussi que l'interaction s'effectue par "courant neutre".
Une approche beaucoup plus satisfaisante et celle qui consiste à utiliser la masse comme terme d'énergie:
(45.7)
à l'aide de cette relation, il est possible de connaître le temps pendant lequel une particule virtuelle peut parcourir une distance qui correspondrait à :
(45.8)
Nous verrons plus loin comment déterminer approximativement la
masse des particules virtuelles qui interviennent dans les forces
nucléaires ce qui nous permettra d'estimer la durée des interactions
comme étant de l'ordre de .
Vers la fin des années 1920, il était devenu clair qu'on pouvait considérer chacune des particules connues (proton, électron, etc.) comme le quantum d'un champ spécifique. Dans cette vision, il y a un champ d'électron, un champ de proton, et ainsi de suite comme nous le démontrerons plus loin (l'Univers serait donc un ensemble de champs unifiés). Un objet quelconque est en réalité un ensemble de manifestations observables des quanta des champs.
Par ailleurs, nous avons vu que l'écriture des équations d'onde pour des particules relativistes (équation de Dirac et équation de Klein-Gordon vue en physique quantique relativiste) amènent des problèmes insolubles classiquement, notamment des énergies négatives. En fait, cette approche n'est pas justifiée car d'après l'équation d'Einstein masse et énergie sont équivalentes et si l'on rajoute à cela le principe d'incertitude d'Heisenberg énergie-temps nous constatons qu'un nombre infini de particules peuvent être créées ou annihilées, d'où la nécessité d'un modèle ne prenant plus en compte les propriétés d'une seule particule mais d'un ensemble de particules, aussi bien réelles que virtuelles.
POTENTIEL DE YUKAWA
Le meilleur pour argumenter l'exemple des quantums reste la "démonstration" de la loi de Coulomb (et de Newton) à partir des résultats que nous avons obtenu en physique quantique ondulatoire (nous devons ces développements à Yukawa).
Soit l'équation de Klein-Gordon libre (cf. chapitre Physique Quantique Ondulatoire):
(45.9)
cette équation décrit la dynamique d'amplitude de présence d'une particule sans spin dans le temps dans un potentiel donné.
Considérons une composante de statique
(indépendante du temps) à symétrique sphérique:
(45.10)
L'équation de Klein-Gordon se réduit alors à:
(45.11)
Si nous divisons des deux côtés de
l'égalité par :
(45.12)
Rappel (cf. chapitre de Calcul Vectoriel) de notation du Laplacien du champ scalaire:
(45.13)
et soit son expression en
coordonnées
sphériques où est
identifié à l'origine du champ (cf. chapitre
de Calcul Vectoriel):
(45.14)
Comme le champ U(r) est à symétrie sphérique (dépendant de r uniquement) le Laplacien se réduit à:
(45.15)
Donc l'équation du champ U(r) s'écrit:
(45.16)
Cette équation différentielle à pour solution (on devine assez facilement que l'exponentielle est une solution possible):
(45.17)
où C est une constante d'intégration.
Dans le cadre de l'utilisation des unités naturelles (ce qui est le plus fréquent à ce niveau dans la littérature scientifique) ce potentiel s'écrit :
(45.18)
et se nomme "potentiel de Yukawa".
Le lecteur remarquera que mise à part la distance r, l'autre variable dans l'exponentielle est la masse (les autres termes étant des constantes universelles). Conséquence : le potentiel de Yukawa est aussi bien un "champ scalaire" dans le cas où la masse est nulle (voir l'exemple ci-après) qu'un "champ massique" dans le cas où la masse est non nulle !
Cela nous amène à l'hypothèse suivante : si c'est le champ électrique qui maintient les particules chargées entre elles dans l'atome (voir le traitement du champ non-massique ci-dessous), c'est le champ massique qui maintient les particules non chargées entre elles dans l'atome.
Autrement dit, si des particules
interagissent par l'intermédiaire d'un champ massique de masse (au
lieu d'interagir avec des photons de masse nul), leur force
mutuelle va décroître exponentiellement (ce qui est très
rapide).
CHAMPS MASSIQUES
Le physicien H. Yukawa proposa donc en 1935 que la force nucléaire devait sa très courte portée au fait qu'elle était transmise par des particules massives (plus la masse du quanta échangé est grande plus la portée de l'interaction est réduite), décrites par le champ massique ci-haut.
Voyons cela de plus près. Notons le potentiel de Yukawa sous la forme suivante :
(45.19)
avec :
(45.20)
Cette notation n'est pas innocente car comme nous le
verrons en détails plus loin, lorsque (cas
de l'interaction électromagnétique et gravitationnelle) alors
et
nous retrouvons alors la loi fondamentale de l'électrodynamique
ou de la gravitation où la particule d'interaction est le photon
(masse nulle) pour la première et respectivement le graviton pour
la deuxième.
Ainsi, en supposant que le rayon de l'interaction nucléaire forte
(cohésion des nucléons entre eux) est et
celui de l'interaction nucléaire faible (qui serait à l'origine
de la désintégration bêta comme nous l'avons précisé dans le chapitre
de Physique Nucléaire)
,
nous avons alors les énergies de liaisons des interactions ainsi
leur masse approximative immédiatement :
- Pour "l'interaction nucléaire forte" :
(45.21)
soit environ 220 fois la masse de l'électron et 1/9 de la masse du proton.
Deux ans après cette prédiction de Yukawa, les physiciens découvrirent
une particule correspondant à cette masse : le méson .
Il s'avérera plus tard que ce n'était pas la bonne particule
mais une particule de même type que l'électron, soit un lepton
et donc un fermion (ce ne peut donc être une particule messagère).
De plus, les expériences de diffusions et de collisions avec
des protons, deutérons, etc... à des énergies de plus
en plus hautes ont montrées
qu'il y avait une modification de l'intensité/forme de l'interaction
forte incompatible avec l'hypothèse d'un seul méson. De plus les
résonnances hadroniques montraient qu'il existait des états excités
des mésons ce qui est difficile à imaginer pour des particules
considérées
comme fondamentales en analogie avec le photon!!
Les particules détectées dans les laboratoires et qui semblaient être les meilleures candidates à l'époque (car il y en avait plusieurs...) de l'interaction nucléaire forte étaient les "pions" (ou "mésons pi") qui se présentent sous trois formes :
(45.22)
et qui sont 270 fois plus massifs que l'électron. Donc cette différence de masse indique bien que le modèle de Yukawa n'est pas tout à fait exact.
Avant la découverte des quarks (dont sont constitués les mésons), les mésons étaient donc considérés comme les vecteurs de l'interaction forte.
- Pour "l'interaction nucléaire faible" :
(45.23)
Il s'agit donc d'une masse colossale, une centaine de fois la
masse du proton! Les vecteurs d'interactions ont des candidats
qui ont été mis en évidence en 1983 dans les accélérateurs du CERN.
Ces particules messagères de l'interaction nucléaire faible se
nomment les "bosons intermédiaires" .
Ces observations amenèrent l'hypothèse que la théorie de Yukawa n'était pas une théorie assez fondamentale quoiqu'elle représente bien certaines de ses propriétés...
CHAMPS NON-MASSIQUES
Imaginons maintenant un champ scalaire à symétrique sphérique statique, dont le photon (particule sans spin) est l'hypothétique quantum d'échange.
Comme la masse du photon est nulle, l'expression de U(r) se réduit à:
(45.24)
Si nous interprétons U(r) comme
le potentiel électrostatique source d'une quantité de
charges élémentaires q alors
la constante C
dans notre système métrique vaut:
(45.25)
Tel que:
(45.26)
Comme nous avons:
(45.27)
Il en découle:
(45.28)
Ce qui nous donne:
(45.29)
Conclusion: Si un particule se trouve dans un champ de potentiel à symétrique sphérique U(r) dont le photon est supposé être initialement le quantum d'interaction alors nous avons affaire à un champ électrostatique dont l'expression est identique à la loi Coulomb (ceci valide donc encore une fois de façon magistrale la théorie de la physique quantique ondulatoire).
Ceci dit, en appliquant le même raisonnement nous pouvons de même retrouver le potentiel gravitationnel de Newton :
(45.30)
Ce qui impliquerait que le quantum d'interaction du champ gravitationnel est aussi sans masse (dans le cas des petites masses du moins étant donné que nous savons que le potentiel de Newton n'est qu'une approximation de la relativité générale dans le cas des petites masses) et sans spin. Etant donné que le champ gravitationnel ne semble pas interagir avec la présence d'un champ magnétique ou électrostatique, cela nous amène à émettre l'hypothèse que le quantum d'interaction n'est pas le photon et à supposer qu'une autre particule, que nous appellerons "graviton", en est le messager.
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